mardi 18 mai 2010

Sujet de BEP récit et article à écrire


Compartiment 12
Une énorme valise, un cabas usagé, un petit sac à main écrasé contre son sein droit, la sexagénaire vient de pénétrer dans le compartiment. Il est dix-huit heures quarante. L'unique voyageur discerne une vague odeur d'oignon frit et de parfum à la violette. Il interrompt la lecture de son journal pour saluer la voyageuse. En retour, la femme grogne quelques mots incompréhensibles tandis qu'elle referme avec effort la porte du compartiment. Puis elle se
plante devant le voyageur, soupire, espérant qu'il va comprendre. Alors, le voyageur replie son journal, se lève, saisit la valise de la voyageuse et la fait glisser sans ménagement dans le porte-bagages. Il entend parfaitement la remarque désobligeante et reprend sa lecture.
Dix-huit heures quarante-deux. La voyageuse vient de s'affaler dans le siège qui fait face au voyageur. Ce dernier suggère à son encombrante voisine de changer de place étant donné qu'ils sont seuls dans un compartiment d'une capacité de six personnes.
Réponse négative. Elle a réservé voiture 26, compartiment non-fumeurs, place 54, fenêtre de gauche et elle ne bougera pas. Le voyageur se dit que cette personne lui rappelle la domestique portugaise de son ex-femme. Le train s'ébranle, le voyageur se positionne légèrement de biais afin de ne pas rencontrer les genoux de son vis-à-vis et reprend sa lecture.
Le voyage commence. Il n'y aura aucun arrêt avant Strasbourg.
Dix-neuf heures quinze. La voyageuse extirpe du cabas une paire de chaussons brodés, marmonne et se déchausse.
Dix-neuf heures vingt. Pour la quatrième fois, l'homme est dérangé dans sa lecture par la voyageuse. Elle tient sur ses cuisses un sandwich entouré de papier d'aluminium ménager qu'elle retire avec délicatesse. Des effluves d'oignon frit envahissent le compartiment. Ils viennent s'ajouter au parfum d'une eau de toilette bon marché censée masquer l'odeur âcre de transpiration. Le voyageur suggère à son vis-à-vis l'ouverture de la fenêtre. La voyageuse répond qu'il fait trop froid et avale un énorme morceau de saucisse moutardée. Le voyageur suggère l'ouverture de la porte du compartiment pour une aération sommaire. La réponse lui parvient sous la forme de borborygmes(1) et de postillons : elle n'est toujours pas d'accord à cause du bruit, des courants d'air, des gens qui fument dans le couloir, elle n'est pas d'accord du tout, et s'il n'est pas content, il n'a qu'à aller ailleurs. Les molaires supérieures du voyageur rejoignent les molaires inférieures. L'homme se dit que cette personne lui rappelle la concierge d'un immeuble parisien où il se rendit un jour. Les émanations de violette défraîchies mêlées à l'odeur du sandwich se font plus fortes. La voyageuse râle de plus belle. Sans doute s'agit-il d'une insulte à l'intention du voyageur puisque celui-ci s'obstine à ne pas déguerpir, à ne pas laisser la jouissance totale du compartiment à sa voisine, en un mot, à se croire chez lui. La voyageuse continue à gronder entre deux bouchées de pain huileux tout en scrutant le voyageur. Il n'en peut plus. Il lui suggère de remballer au plus vite son déjeuner. Il dit qu'il a payé sa place, une place réservée, avec le supplément, il dit qu'il n'a pas l'intention de quitter son siège et que si elle n'arrête pas de bouffer son sandwich abominable, il va la balancer hors du train. Elle menace de le dénoncer au contrôleur et mord dans son déjeuner avec véhémence(2). Alors, le voyageur comprend que cette femme a le regard effronté de concierge qu'un jour il noya en lui maintenant la tête dans son évier ; elle refusait de lui donner la nouvelle adresse de son ex-femme. Il se dit aussi que le rictus(3) est similaire à celui de la domestique qui lui interdisait d'entrer dans le nouvel appartement de son ex-femme et qu'il étrangla sur le palier avec une serpillière, et tout cela dans un infect mélange d'odeur de cuisine et de parfum écoeurant. Il ne faut pas le pousser à bout. Il ne faut pas que ça sente l'oignon et la violette !
La femme veut crier, appeler au secours, elle n'en a pas le temps. C'est si violent, ça va si vite, et il n'y a personne dans le couloir.
A dix-neuf heures trente-deux, le contrôleur ne vérifie qu'un seul billet dans le compartiment d'extrémité, le 12. Celui où un voyageur de belle corpulence lit son journal le plus tranquillement du monde. Au passage, le contrôleur a refermé la porte donnant sur la voie. Elle claquait dans le courant d'air. Quelqu'un avait dû s'amuser à l'ouvrir. Les gens sont stupides. Un accident est si vite arrivé.
Sophie Loubière, Petits polars à l'usage des grands, Librio, 2000.
(1) borborygmes : gargouillis
(2) véhémence : force, brutalité
(3)rictus : sourire crispé




Toutes vos réponses doivent être rédigées.
COMPETENCES DE LECTURE (10 points)
Question 1 (1 point)
Ce récit est une nouvelle. Justifiez cette affirmation par deux éléments.
Question 2 (3 points)
a) Comment le voyageur réagit-il à l'arrivée de la femme ?
b) Comment qualifieriez-vous le caractère de cette voyageuse ? Justifiez votre réponse en relevant des éléments du texte.
Question 3 (3 points)
"Les molaires supérieures du voyageur rejoignent les molaires inférieures" (l.28-29)
a) Qu'indique cette expression sur l'état du voyageur ?
b) Montrez de quelle manière cet état progresse au cours de la nouvelle.
Question 4 (3 points)
a) Relevez, dans les lignes 46 à 52, deux expressions qui montrent comment le voyageur s'est débarrassé de la femme.
b) En quoi les trois dernières phrases prêtent-elles à sourire ?
COMPETENCES D'ECRITURE (10 points)
Une enquête a lieu après l'événement raconté dans la nouvelle. Journaliste au quotidien local, vous écrivez un article dans lequel vous rapportez les faits et vous intégrez le témoignage du contrôleur.
Votre article d'au moins vingt lignes comportera un titre et un développement organisé en plusieurs paragraphes.
Par respect de l'anonymat, vous ne signerez pas votre article.

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